Ainsi le roi d'Espagne est-il acculé à l'abdication par la convergence de signes négatifs accourant sur sa personne et sur sa fonstion, indissociables dans les temps modernes, les deux corps du roi ayant été fusionné par l'empire médiatique. La charnière de la succession ouvre une fenêtre de tir aux adversaires de la monarchie, ils s'y essaieront, ils s'y essaient déjà ! Leurs motifs sont les billevesées habituelles sur la citoyenneté opposée à la sujétion, le rendre-compte du pouvoir, le coût de la liste civile de la dynastie, etc...
La fonction "pointe de pyramide" d'un monarque ne les effleure plus. L'incarnation pérenne de la Nation, le commandement en chef des armées, l'arbitre en dernier ressort totalement désintéréssé, sont des notions trop abstraites pour un peuple secoué par la crise comme un prunier par l'orage ; les grands capitaines franquistes sont enterrés, le danger de revenir aux heures les plus sombres de leur histoire fait sourire. Pourtant les chefs politiques actuels sont monarchistes, tant à gauche qu'à droite, mesurant sans doute l'avantage de dépolitiser la clef de voûte et de faire l'économie d'une élection présidentielle dévastatrice chaque 5 ou 6 ans. Mais il est des moments dans l'histoire des peuples où la raison ne suffit plus ; et Juan Carlos a des torts.
Si les débuts de son règne ont été "adroits" pour réussir la transition entre une monarchie absolue franquiste héritée de son père politique et une monarchie parlementaire du style de celle de Westminster, le roi, d'un tempérament sportif pour ne pas dire léger, s'est installé ensuite dans les avantages du poste en oubliant la réflexion de son ancêtre Ferdinand VII qui mettait au défi quiconque de gouverner un royaume de douze millons de rois ! Si les vacances nautiques aux Baléares, la résidence protégée en forêt au palais de la Zarzuela, les soupers publics avec Corrina et quelques couacs moins drôles comme d'abattre un ours russe ivre de vodka à bout touchant, restaient "acceptables" dans une Espagne en pleine euphorie du PIB facile, ce n'est plus pareil dans un pays qui souffre. L'éléphant du Botswana, les soupçons de comptes en Suisse hérités de Don Juan et d'autres peccadilles que je tairai deviennent insupportables.
Les dynasties, surtout en pays latin, doivent être irréprochables. La dynastie espagnole s'est liquéfiée, d'abord par la dégénérescence physique du titulaire et les attaques précoces de la sénilité, ensuite par les "révélations". L'affaire Urdangarin aurait dû être traitée brutalement et le gendre exilé aux îles Zaffarines. On peut faire une erreur, mais pas dix ! Trop diminué physiquement, il fallait partir et installer Felipe au Palais Royal de Madrid, au milieu de son peuple. Les rois tiennent autant par l'affect qu'ils suscitent que par la constitution qui les protège. Ils sont le recours mental et moral du déshérité, l'invocation du pauvre, l'intention du rachat pour le pécheur, le soleil des âmes simples.
Le meilleur roi moderne serait un moine-chevalier, mais l'hérédité de la fonction s'y oppose. Un roi d'Espagne, savant et productif dans son palais de l'Escorial (comme son alter-ego français au Mont Saint-Michel) n'aurait rien à craindre de l'Histoire. Qu'a produit SM Juan-Carlos Ier pour étayer la monarchie, quelle vision du monde a-t-il communiqué au monde ? Qu'a-t-il inventé ? Le temps des rois faibles ou distraits compensés par des ascendants et des successeurs plus capables est révolu. Ils doivent tous être bons, le peuple ne juge plus sur la moyenne ! Celui qui s'en va a montré une adresse politique exceptionnelle et un pugnacité surprenante dans les premières années de son règne. La constitution de 1978 une fois consolidée, le roi s'est abandonné à lui-même.
L'Espagne peut très bien se retrouver en République à la Noël. Dès le printemps suivant les Espagnols sauront ce qu'ils ont perdu. Pour le moment, ils ne le voient pas. Ils se passionnent pour le zapping.
Le silence de Royal-Artillerie est rompu à l'occasion de cette catastrophe annoncée pour la maison de Bourbon.