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Mgr Dillon va aux États

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Ceci est la relation abrégée d'un voyage en grand équipage du président-né des Etats de Languedoc à la veille de la Révolution française, comme nous la donna Lucy Dillon, sa nièce, future marquise de La Tour du Pin. L'archevêque irlandais de Narbonne, Arthur-Richard Dillon (1721-1806), était une "nature", passionné par l'administration de son fief en laquelle il brilla, bien plus que des choses surnaturelles qu'il jugeait sans doute impalpables, comparées à un canal, une route ou une faculté de sciences. Le Ciel ne lui en tint pas rigueur, qui déplaça en 2007 le cardinal Lustiger en grande pourpre à la translation de ses cendres de Saint-Pancras (Londres) à Narbonne. La notice de la Wikipedia donne l'essentiel et un peu plus. On en fera son profit.

De 1783 à 1786, Henriette Lucy Dillon suit sa grand mère aux Etats dans le train de son oncle l'archevêque. Elle a autour de 15 ans. Passionnée de chevaux dès son plus jeune âge - elle en sera plus experte pour monter une écurie que bien des maîtres de maison - elle décrit le système de transport de Paris à Montpellier. Dans son journal, elle explique par exemple que l'affaire de Varennes n'aurait peut-être pas si mal fini, si au lieu de chevaux d'escadron on avait confié la famille royale à des chevaux de poste et à des postillons habitués à mener grand train sans les fatiguer. Bon, c'est à elle maintenant :

- Berline -
Nos préparatifs de voyage, les achats, les emballages, étaient déjà pour moi une occupation et un plaisir dont j'ai eu le temps de me lasser dans la suite de ma vie agitée. Nous partions dans une grande berlineà six chevaux : mon oncle et ma grand'mère assis dans le fond, moi sur le devant avec un ecclésiastique attaché à mon oncle ou un secrétaire, et deux domestiques sur le siège de devant. Ces derniers se trouvaient plus fatigués en arrivant que ceux qui allaient à cheval, car alors les sièges, au lieu de être suspendus sur les ressorts, reposaient sur deux montants en bois s'appuyant sur le lisoir (ndlr : pièce de bois transversale, qui est au-dessus de l'essieu d'un carrosse, et qui en porte les ressorts), et étaient par conséquent aussi durs qu'une charrette.
Une seconde berline, également attelée de six chevaux, contenait la femme de chambre de ma grand'mère et la mienne, Miss Beck, deux valets de chambre et, sur le siège, deux domestiques.
Une chaise de poste emmenait le maître d'hôtel et le chef de cuisine.
Il y avait aussi trois courriers, dont un en avant d'une demi-heure et les deux autres avec les voitures.
M. Combes, mon instituteur, partait quelques jours avant nous par la diligence, nommée alors la Turgotine, ou par la malle. Celle-ci ne prenait qu'un seul voyageur. C'était une sorte de charrette longue, sur brancards.
[... digression étrangère au grand équipage et conditions de route ...]

- malle-poste -
Nous courions à dix-huit chevaux, et l'ordre de l'administration des postes nous précédait de quelques jours pour que les chevaux fussent prêts. Nous faisions de longues journées. Partis à 4 heures du matin (ndlr : 6 heures en heure d'été actuelle), nous nous arrêtions pour dîner (ndlr : à midi). la chaise de poste et le premier courrier nous devançaient d'une heure (ndlr : eux démarraient donc à trois heures) . Cela permettait de trouver la table prête, le feu allumé, et quelques bons plats préparés ou améliorés par notre cuisinier. Il emportait de Paris, dans sa voiture, des bouteilles de coulis, de sauces toutes préparées, tout ce qu'il fallait pour obvier aux mauvais dîners d'auberge. La chaise de poste et le premier courrier repartaient dès que nous arrivions, et lorsque nous faisions halte pour la nuit, nous trouvions, comme le matin, tous les préparatifs terminés.
[...]
Après avoir parcouru 160 lieues (690 kilomètres) de chemins détestables et défoncés, après avoir traversé des torrents sans ponts où l'on courait risque de la vie*, on entrait, une fois le Rhône franchi, sur une route aussi belle que celle du jardin le mieux entretenu. On passait sur de superbes ponts parfaitement construits ; on traversait des villes où florissait l'industrie la plus active, des campagnes bien cultivées. Le contraste était frappant, même pour des yeux de quinze ans.
Le beau Languedoc atteint, nous arrêtons là le récit de Lucy Dillon.
Voilà la vérité de l'innocence, la description du pays et celle de la période des Etats est un régal pour le "patriote" (Chapitre III du Journal d'une femme de cinquante ans, Chapelot Paris, 1913 en ligne sur Gallica).



* ils passaient les gués de France, portes de voiture grandes ouvertes, afin que le flot la traversât sans la renverser !


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