Un billet commémoratif ? De grands esprits nous livrent cette année leur "analyse" de Charles Maurras, mais nous ne l'inviterons pas sur notre divan qui est bien trop petit. Maurras en son temps est un océan polémique, comme dit Tony Kunter, où l'on a vite fait de se noyer, même avec les meilleures intentions du monde. Aussi préférons-nous publier dans le domaine littéraire - la corde de l'arc maurrassien que nous aimons le plus - un de ses textes moins connus, comme les Amis du chemin de Paradis nous en proposent sur le site Maurras.net qui lui est entièrement dédié.
Ces gens magnifiques ont entrepris la lourde tâche de remettre l'oeuvre en perspective et en détails. Mille et un mercis à Nicole Maurras et à son équipe. Pour boucler la boucle, nous ramenons le Martégal en Provence dans Le Retour et le Foyer de 1901. Ce texte est dédié par Maurras à Jacques Bainville.
Ces gens magnifiques ont entrepris la lourde tâche de remettre l'oeuvre en perspective et en détails. Mille et un mercis à Nicole Maurras et à son équipe. Pour boucler la boucle, nous ramenons le Martégal en Provence dans Le Retour et le Foyer de 1901. Ce texte est dédié par Maurras à Jacques Bainville.
LES COLLINES BATTUES DU VENT
Passé Arles, commencent de grands pays muets, peu différents de ceux qu'aima le funèbre Vigny. Cependant cette plate et marécageuse campagne, dure plaine où, dit un poète, les derniers enfants de la terre essuyèrent les coups des puissances du ciel, ne conseille à l'esprit aucune détresse. Son silence a le caractère de la destinée accomplie. Rien ne change, tout est fixé. Entre le ciel de saphir bleu et la lointaine mer d'opale, on y semble à couvert de vicissitudes et de labeur.
Mais, après Miramas, sur la limite des arrondissements d'Arles et d'Aix, la nappe des terrains se plisse et s'ondule, les choses recommencent de souffrir et de sangloter à l'envi des choses humaines. Sur les tertres lépreux apparaissent des lots de pauvre terre jaune que parsèment des cailloux blancs. De tous côtés, le roc affleure, déchirant l'étoffe subtile du terreau. Le mistral et le vent d'ouest s'y déchaînent en liberté, au milieu de peuplades d'amandiers frêles et chétifs, tordus en des formes plaintives et levant leurs bras noirs sur la terre empourprée comme s'ils imploraient une vengeance et un pardon. Mais le ciel ne s'arrête pas de les flageller. Aucun mot ne peut dire le désespoir de ces arbrisseaux misérables, sous les coups du vent éternel. Je le perçus à l'heure du coucher du soleil, quand la voix du mistral se fait déchirante et cruelle. Ce n'est d'un bout à l'autre de cette plaine abandonnée qu'un geste et qu'un cri de pitié.
L'étang de Berre est entouré d'un demi-cirque de collines qui se plient en arc byzantin et qui s'ouvrent vers le couchant pour lui frayer une communication à la mer. Ces collines sont d'une grande sévérité. Tout le haut de leur corps est nu. Depuis de très longs âges, les ondées d'hiver et d'automne ne cessent de précipiter la terre meuble qui donnait à la pierre sa toison et son vêtement. Maintenant le squelette du sol est visible partout. Tout ce plateau élance, du linceul végétal attaché encore à son flanc, des têtes rases et brillantes comme les ossements d'un héros déterré. Cette surface nue enduite d'une couleur livide ou sanglante, je ne sais rien d'aussi lugubre ! Sur les pentes s'agrippent des touffes de kermès et de ces chênes nains dont la verdure sombre ne cède point à la lumière, mais fait une tache éternelle par les plus beaux soleils d'été. Les arbustes enracinés dans le calcaire ne plient pas non plus sous le vent. Raidissant leurs baguettes, ils se contentent de gémir en égratignant le mistral. Musique aiguë, mais incessante, à laquelle s'ajoute le ton grave du pin.
Le train s'arrête au cœur de cette terre d'affliction. C'est là que je descends, à la petite gare que l'administration a nommée le Pas-des-Lanciers. Le nom provençal de ce lieu est lou pas de l'ancié, c'est-à-dire, selon les uns, pas de l'angoisse, selon d'autres, du défilé. Peut-être, après tout, que nos pères avaient voulu signifier l'âme tragique d'une solitude battue du vent. Mais leur sentiment s'est perdu, et leur mot s'est défiguré.
Les cartographes ont massacré la Provence, les ethnographes ne l'ont pas beaucoup mieux traitée. Je voudrais y conduire les esprits simples à qui tout le paysage du midi semble fait de pure allégresse et qui placent au nord le refuge définitif des cœurs tristes et repliés. Il me serait facile de leur montrer ici les tristesses de la lumière à l'heure de son agonie. La sensation s'accroît des reflets de la nappe d'eau qui étend, au milieu d'une terre maigre et dorée, ses pâles successions de nuances demi-mourantes. Sur la plage éloignée de Vitrolles et de Berre, les salins réfléchissent au fond de leurs carreaux la pulsation régulière du crépuscule. Aussitôt le soleil disparu sous les nuées fauves, un souffle d'extinction accourt en gémissant sur le monde décomposé et l'on dirait qu'eux-mêmes, les sages oliviers, aient sur leurs troncs inébranlables, cédé à la voix du chagrin qui s'exhale de tout. Leurs cimes claires sont touchées du frémissement et palpitent ensemble dans le nocturne effroi qui tourmente plus loin la plume des roseaux et l'écharpe des tamaris.
Ah ! malgré la joie du retour, quoique je me redise le beau sonnet de Joachim sur l'agrément d'un long voyage et d'une rentrée au jour dit, et bien que, moi aussi, je voie tournoyer au couchant quantité de petites fumées qui me sont chères, il m'arrive de cet air vif, de ce vent furieux, de ces champs misérables, que la vigne, rampante et malade, n'égaye plus, un serrement de cœur étrange. Non, ce n'est point de sérénité ni de paix que se trame la vie sur ces collines, au bord de ces eaux passionnées. J'ai bien peur qu'il n'y passe tout autant de souffles amers que j'en ai senti autre part. L'impression est si forte qu'à voix basse, comme un Ancien, je prie le vent furieux d'épargner, ce soir, ma colline.
Mais, après Miramas, sur la limite des arrondissements d'Arles et d'Aix, la nappe des terrains se plisse et s'ondule, les choses recommencent de souffrir et de sangloter à l'envi des choses humaines. Sur les tertres lépreux apparaissent des lots de pauvre terre jaune que parsèment des cailloux blancs. De tous côtés, le roc affleure, déchirant l'étoffe subtile du terreau. Le mistral et le vent d'ouest s'y déchaînent en liberté, au milieu de peuplades d'amandiers frêles et chétifs, tordus en des formes plaintives et levant leurs bras noirs sur la terre empourprée comme s'ils imploraient une vengeance et un pardon. Mais le ciel ne s'arrête pas de les flageller. Aucun mot ne peut dire le désespoir de ces arbrisseaux misérables, sous les coups du vent éternel. Je le perçus à l'heure du coucher du soleil, quand la voix du mistral se fait déchirante et cruelle. Ce n'est d'un bout à l'autre de cette plaine abandonnée qu'un geste et qu'un cri de pitié.
L'étang de Berre est entouré d'un demi-cirque de collines qui se plient en arc byzantin et qui s'ouvrent vers le couchant pour lui frayer une communication à la mer. Ces collines sont d'une grande sévérité. Tout le haut de leur corps est nu. Depuis de très longs âges, les ondées d'hiver et d'automne ne cessent de précipiter la terre meuble qui donnait à la pierre sa toison et son vêtement. Maintenant le squelette du sol est visible partout. Tout ce plateau élance, du linceul végétal attaché encore à son flanc, des têtes rases et brillantes comme les ossements d'un héros déterré. Cette surface nue enduite d'une couleur livide ou sanglante, je ne sais rien d'aussi lugubre ! Sur les pentes s'agrippent des touffes de kermès et de ces chênes nains dont la verdure sombre ne cède point à la lumière, mais fait une tache éternelle par les plus beaux soleils d'été. Les arbustes enracinés dans le calcaire ne plient pas non plus sous le vent. Raidissant leurs baguettes, ils se contentent de gémir en égratignant le mistral. Musique aiguë, mais incessante, à laquelle s'ajoute le ton grave du pin.
Le train s'arrête au cœur de cette terre d'affliction. C'est là que je descends, à la petite gare que l'administration a nommée le Pas-des-Lanciers. Le nom provençal de ce lieu est lou pas de l'ancié, c'est-à-dire, selon les uns, pas de l'angoisse, selon d'autres, du défilé. Peut-être, après tout, que nos pères avaient voulu signifier l'âme tragique d'une solitude battue du vent. Mais leur sentiment s'est perdu, et leur mot s'est défiguré.
Les cartographes ont massacré la Provence, les ethnographes ne l'ont pas beaucoup mieux traitée. Je voudrais y conduire les esprits simples à qui tout le paysage du midi semble fait de pure allégresse et qui placent au nord le refuge définitif des cœurs tristes et repliés. Il me serait facile de leur montrer ici les tristesses de la lumière à l'heure de son agonie. La sensation s'accroît des reflets de la nappe d'eau qui étend, au milieu d'une terre maigre et dorée, ses pâles successions de nuances demi-mourantes. Sur la plage éloignée de Vitrolles et de Berre, les salins réfléchissent au fond de leurs carreaux la pulsation régulière du crépuscule. Aussitôt le soleil disparu sous les nuées fauves, un souffle d'extinction accourt en gémissant sur le monde décomposé et l'on dirait qu'eux-mêmes, les sages oliviers, aient sur leurs troncs inébranlables, cédé à la voix du chagrin qui s'exhale de tout. Leurs cimes claires sont touchées du frémissement et palpitent ensemble dans le nocturne effroi qui tourmente plus loin la plume des roseaux et l'écharpe des tamaris.
Ah ! malgré la joie du retour, quoique je me redise le beau sonnet de Joachim sur l'agrément d'un long voyage et d'une rentrée au jour dit, et bien que, moi aussi, je voie tournoyer au couchant quantité de petites fumées qui me sont chères, il m'arrive de cet air vif, de ce vent furieux, de ces champs misérables, que la vigne, rampante et malade, n'égaye plus, un serrement de cœur étrange. Non, ce n'est point de sérénité ni de paix que se trame la vie sur ces collines, au bord de ces eaux passionnées. J'ai bien peur qu'il n'y passe tout autant de souffles amers que j'en ai senti autre part. L'impression est si forte qu'à voix basse, comme un Ancien, je prie le vent furieux d'épargner, ce soir, ma colline.
Si on me demandait au hasard quel ouvrage lire pour apprendre Maurras, je donnerais le Maurras et notre temps d'Henri Massis, et tout ce qu'écrivit son ami René Benjaminà son endroit (dont Charles Maurras, ce fils de la mer). On les trouve en vieux livres ou en bouquinerie.