Sarcophage romain dit de la porte entr'ouverte |
Bien des façons d'être triste aujourd'hui, mais secouons-nous, ça ne durera pas ! Evidemment : tout finit toujours par s'arranger, même mal (proverbe cévenol). On pourrait faire l'article des magnifiques sarcophages romains, de leurs intentions voire de leur lecture de la vie du défunt qui y repose, mais nous serions éblouis par la légèreté talentueuse des artistes de l'Antiquité qui ne furent jamais égalés. Ce n'est pas le jour de s'éblouir. La pluie, le vent, les nuages si bas que l'Aigoual fait l'Olympe, nous font revenir au Désert, loin des marbres et des porphyres. Aux Déserts. A la méditation, aux idées noires, aux idées grises... c'est Jour des Morts, de nos morts. D'aucuns partirent à reculons, certains implorèrent, d'autres furent fauchés à l'assaut et certains ont expiré dans leur lit, seuls, en famille, mais nul ne partit en riant ou en chantant, sauf à parler des martyrs car nous en eûmes beaucoup quand même, et je ne parle pas des supplices romains qui voulurent écraser les paléochrétiens des Gaules en les jetant au lion ou au taureau. Non, non, des martyrs languedociens du XIII° siècle qui ne sont inscrits à aucun jour du calendrier, mais ça pourrait changer, un peu comme change la perception du génocide vendéen, dès lors que le temps ne fait rien en l'affaire. Il semblerait que ça commence à bouger puisque l'évêque de Pamiers, Mgr Eychenne, parle du « sort extrêmement cruel réservé à ces croyants que l'on a coutume d'appeler Cathares » en disant une messe pour eux le 16 octobre dernier à Montségur (source).
Cent quarante Parfaits de Minerve, dédaignant l'absoute, montèrent aux bûchers d'une seul pas. Soixante Parfaits des Cassès grimpèrent sur les fagots en pleine sérénité ; Montaigne, écœuré, en parla ! Quatre cents Parfaits de Lavaur se jetèrent dans les flammes dans une commune exhortation. Il y en eu bien d'autres et des deux sexes. Ces hérétiques étaient "triés" par les légats pontificaux qui dans le doute ne s'abstenaient jamais. Si la Croisade des Albigeois tacha de merde les longs manteaux des ecclésiastiques, elle permit de s'assurer dans la méditation des veillées que, sous la menace, le pape se transformerait en tigre. Les Protestants s'en souviendront plus tard, qui ne firent aucun cadeau. Mais pour quoi les Parfaits mouraient-ils ?
Nous sommes au XIII° siècle. Le pape Innocent III a déclaré en 1209 le Languedoc "exposé en proie", ce qui signifie en clair dans l'esprit des croisés que toutes les exactions commises sont absoutes et le butin acquis d'avance, sans méjuger la captation des fiefs. La terre, chrétienne pourtant, doit se régénérer dans le sang des hérétiques. Mais contrairement aux espérances de la papauté, ce n'est pas la guerre totale de Simon de Montfort qui vaincra les Bonshommes mais la sainte Inquisition qui éradiquera ensuite tout le tissu social suspect d'hérésie, simplement suspect, extermination, tabula rasa. Ce qui n'explique pas le détachement des Parfaits devant le supplice, si on ne connaît pas les trois principes de la métaphysique qu'ils reconnaissaient dans l'humanité sans pour autant croire qu'ils puissent se recomposer en substance autonome : l'Esprit, l'âme et le corps. Aucun lien ne réunit les trois principes dans l'unité de l'individu, ils se combattent dans une guerre qui n'a jamais commencé et ne finira pas, celle du Bien et du Mal.
L'Esprit est d'essence divine éternelle et commun à toute la Création. Pour se faire comprendre on pourrait faire aujourd'hui une analogie avec le magnétisme terrestre, combiné aux attractions solaire et lunaire sans lesquelles nous n'aurions jamais pu naître en ce monde. Si le piéton était télévangéliste il vous en ferait dix minutes sans un seul verre d'eau mais en affichant son RIB. L'Esprit éternel est le réceptacle de la vie éternelle de l'âme du croyant. Aujourd'hui ce principe premier qui préexiste à tout est l'obsession de l'agnostique qui ne se satisfait d'aucune explication humaine et nie le hasard du précipité cosmique.
L'âme fonde l'in.di.vi.du ! Elle pense, elle anime, elle est la génératrice personnelle de chacun. Elle immatricule l'homme dans le grand livre céleste des chrétiens. Elle est exposée aux pires tourments, aux exaltations, au mysticisme mais aussi à la colère et la cruauté. Même si elle connaît le bonheur parfois, elle est toute contenue dans la gangue du corps qui l'aliène et dont les pulsions de toute nature lui pourrissent la vie terrestre.
Le corps est démoniaque, le siège de tous les péchés, une tunique qui serre, une prison qui affame, une guenille à la fin ! Le brûler accélérait le "passage" vers une réincarnation au pire, au mieux une libération où l'âme pourrait se recomposer en l'Esprit. Une métaphysique de la fin tout à fait bouddhiste dans ses cycles et tributaire de l'Eveil.
Il faudra attendre saint Thomas d'Aquin pour que cesse la dislocation de l'individu par la refondation de sa substance propre... mais c'est un autre chapitre. Nous retiendrons que les Parfaits avaient assimilé si profondément ces antagonismes en eux-mêmes qu'ils ont vécu la carbonisation des corps comme une véritable libération. Heureusement pour leurs adversaires qu'ils ne furent jamais soldats. La sévérité des Inquisitions qui se sont succédé pendant un siècle pour parvenir à leur destruction, a-t-elle pris en compte ce danger latent de ninjas invincibles semant la guérilla par tout le royaume ? Ce fut plutôt l'apogée de la théocratie absolue qui ne souffrait aucune concurrence ici-bas et là-haut, qui crut tenir son majorat et ses dîmes par la terreur et les excommunications. Elle condamnera plus tard un chevalier de La Barre pour des rumeurs d'impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables et pour être raccord avec la tradition, fit brûler son corps décapité sur la place publique. Le Premier Ordre en mourra !
Normalement, une chanson de troubadour doit finir ce billet puisque le catharisme, les faydits*, la ménestrandie, la fine amor furent parfaitement liés par l'anticléricalisme occitan. Nous avons choisi pour l'occasion l'Epervier incassable du chevalier faydit Raimon de Miraval (ca. 1159-1218) :
Bel m’es qu’ieu cant e condei
Pois l’aur’es dous’ e-l temps gais
E pels vergiers e pels plais
Aug lo retint e-l gabei
Que fan l’auzelet menut
Entre-l blanc e-l vert e-l vaire
Adonc se deuria traire
Cel que vol qu’Amors l’ajut
Vas captenensa de drut
Ieu non soi drutz mas domnei
Ni no-m sent pena ni fais
Ni-m rancur leu ni m’irais
Ni per orgolh no m’esfrei
Pero temensa-m fait mut
Qu’a la bella de bon aire
Non aus mostar ni retraire
Mon cor qu’ill tenc escondut
Tro qu’aia-l sieu conogut
Ses pregar et ses autrei
Son intratz en greu pantais
Com pogues semblar verais
S’ieu sa gran valor desplei
Qu’enquer non a pretz avut
Domna que nasques de maire
Que contra-l sieu valgues gaire
Et si-n sai maint car tengut
Que-l sieus a-l melhor vencut
Ben vol qu’om gen la cortei
E platz li solatz e jais
E no-ill agrad’om savais
Que s’en dersguis ni-s malmei
Mas li pro son ben vengut
A cui fai tan bel vejaire
Que quascus es sos lauzaire
Quan son d’enan lieis mogut
Meils que s’eran siei vendut
Ja non cre qu’ab lieis parei
Beutatz d’autra dompna mais,
Que flors de rosier quan nais
Non es plus fresca de lei
Cors ben fait e gen cregut
Boqu’et oills del mon esclaire
Que Beutatz plus no-i saup faire
Se-i mes tota sa vertut
Que res no l’es remasut
Ja me domna no-s malei
S’ieu a sa merce m’eslais
Qu’ieu non ai cor que m’abais
Ni vas Amor me desrei
Qu’ades ai del mieils volgut
Defors e dins mon repaire
E de lieis non sui gabaire
Que plus no-i ai entendut
Mas gen m’acolh e-m salut
Cansos, vai me dir al rei
Cui jois guid’è vest e pais
Qu’anc no-l trobei en biais
Qu’aital com ieu volh lo vei
Ab que cobre Montagut
E Carcasson’ el repaire
Pois er de pretz emperaire
E doptaran son escut
Sai Frances e lai Masmut
Domn’ades m’avetz valgut
Tant que per vos sui chantaire
E no-n cugei canso faire
Tro-l fieu vos agues rendut
de Miraval qu’ai perdut
Mas lo rei m’a convengut
Que l’o-m rendra ans de gaire
E mon Audiart Belcaire
Puois poiran dompnas e drut
Cobrar lo joi qu’an perdut
(Traduction ici)
(*) Faydit ou faidit : chevalier ou seigneur SDF après les confiscations des barons français ou de leurs évêques; Raimon de Miraval mourut dans la misère chez les Cisterciennes de Santa María de Les Franqueses au nord de Lérida en Catalogne.
Pois l’aur’es dous’ e-l temps gais
E pels vergiers e pels plais
Aug lo retint e-l gabei
Que fan l’auzelet menut
Entre-l blanc e-l vert e-l vaire
Adonc se deuria traire
Cel que vol qu’Amors l’ajut
Vas captenensa de drut
Ieu non soi drutz mas domnei
Ni no-m sent pena ni fais
Ni-m rancur leu ni m’irais
Ni per orgolh no m’esfrei
Pero temensa-m fait mut
Qu’a la bella de bon aire
Non aus mostar ni retraire
Mon cor qu’ill tenc escondut
Tro qu’aia-l sieu conogut
Ses pregar et ses autrei
Son intratz en greu pantais
Com pogues semblar verais
S’ieu sa gran valor desplei
Qu’enquer non a pretz avut
Domna que nasques de maire
Que contra-l sieu valgues gaire
Et si-n sai maint car tengut
Que-l sieus a-l melhor vencut
Ben vol qu’om gen la cortei
E platz li solatz e jais
E no-ill agrad’om savais
Que s’en dersguis ni-s malmei
Mas li pro son ben vengut
A cui fai tan bel vejaire
Que quascus es sos lauzaire
Quan son d’enan lieis mogut
Meils que s’eran siei vendut
Ja non cre qu’ab lieis parei
Beutatz d’autra dompna mais,
Que flors de rosier quan nais
Non es plus fresca de lei
Cors ben fait e gen cregut
Boqu’et oills del mon esclaire
Que Beutatz plus no-i saup faire
Se-i mes tota sa vertut
Que res no l’es remasut
Ja me domna no-s malei
S’ieu a sa merce m’eslais
Qu’ieu non ai cor que m’abais
Ni vas Amor me desrei
Qu’ades ai del mieils volgut
Defors e dins mon repaire
E de lieis non sui gabaire
Que plus no-i ai entendut
Mas gen m’acolh e-m salut
Cansos, vai me dir al rei
Cui jois guid’è vest e pais
Qu’anc no-l trobei en biais
Qu’aital com ieu volh lo vei
Ab que cobre Montagut
E Carcasson’ el repaire
Pois er de pretz emperaire
E doptaran son escut
Sai Frances e lai Masmut
Domn’ades m’avetz valgut
Tant que per vos sui chantaire
E no-n cugei canso faire
Tro-l fieu vos agues rendut
de Miraval qu’ai perdut
Mas lo rei m’a convengut
Que l’o-m rendra ans de gaire
E mon Audiart Belcaire
Puois poiran dompnas e drut
Cobrar lo joi qu’an perdut
(Traduction ici)
(*) Faydit ou faidit : chevalier ou seigneur SDF après les confiscations des barons français ou de leurs évêques; Raimon de Miraval mourut dans la misère chez les Cisterciennes de Santa María de Les Franqueses au nord de Lérida en Catalogne.