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Syrie, une laïcité sans avenir

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Michel Aflak
Quatre-vingt jeunes hommes ont été retirés du Koueik à Alep ; ils sont présumés sunnites ; leurs assassins ne se sont pas déclarés mais la religion des victimes désigne plutôt la mafia alaouite des Chabbiha - on ne prête qu'aux riches. La religion l'emporte désormais sur la citoyenneté. La quête d'une laïcité des moeurs étatiques au Proche Orient fut toujours vaine. Que ses courageux promoteurs aient été chrétiens ou musulmans, à la fin, la religion a toujours resurgi. Saddam Hussein mourut confit en dévotions. Le cas-type fut le grec-orthodoxe Michel Aflak (Damas 1910 - Paris 1989), fondateur du Baas pour une laïcité triomphant de Damas à Bagdad, mais qui à la fin de sa vie s'en remit complètement à l'islam qu'il voyait comme la mère nourricière de la contrée ; il mourut converti et quelque part apostat ! Celui qui persista jusqu'au bout fut Antoun Saadé, né à Dour Choueir du Mont-Liban en 1904, fusillé à Beyrouth en 1949. Saadé était lui-aussi grec-orthodoxe et élève des Frères des Ecoles chrétiennes du Caire, avant de pousser ses études à l'Université américaine de Beyrouth. Il termina sa vie devant un peloton d'exécution le 8 juillet 1949 au Liban pour complot visant à la subversion de l'Etat, la mayonnaise nationaliste ayant pris. Son parti social-nationaliste existe toujours. Voir sa bio officielle mise en ligne par le PSNS. C'était un idéologue promouvant la laïcisation de l'Etat comme il en surgit beaucoup au Proche-Orient dans les temps du démembrement de l'Empire ottoman. Le kémalisme turc affranchi du califat y contribua beaucoup par l'exemple : Kémal Atatürk remonta carrément à l'âge de la Steppe pour arracher son peuple à l'assimilation mésopotamienne et à l'Islam, rétrograde à ses yeux, et pour le tenir aussi à égale distance du communisme et du fascisme à la mode. Il semblerait aujourd'hui que la Turquie arrive à la fin du cycle kémaliste pour retourner à ses "obscurités".

Antoine Saadé
Dans sa quête d'une république laïque débarrassée des influences confessionnelles, formidable gageure, Saadé voulait dépasser le nationalisme panarabe. Il lui reprochait d'écraser les nations individuelles pour refaire un empire musulman capable de libérer la région des soins attentifs de l'Occident. Pour lui, le "monde arabe" ne se définissait que par l'usage de la langue arabe et rien de politique. Le grand projet fédérateur était pour lui un gros ventre mou ; son avatar, la Ligue Arabe, lui a donné raison. La Syrie, dont le Liban était la Bretagne, formait une nation à part entière qui n'avait aucun besoin de se fédérer à d'autres pays ; concept qui sera pris à contrepied par le Baas, laïque également mais fédéraliste. Au delà du concept, l'exaltation de la nation syrienne visait d'abord à chasser la puissance mandataire, la France, qui pourtant lui avait donné l'espace suffisant au moment des accords Sykes-Picot dans cette déclaration d'Aristide Briand : «Que la Syrie ne soit pas un pays étriqué… Il lui faut une large frontière, faisant d’elle une dépendance pouvant se suffire à elle-même» (note du ministre au Consul général Georges-Picot du 2 novembre 1915). Ainsi grâce à la France, Saadé promut-il avec succès la nation concrète, ancrée, territorialisée, capable de surmonter les moeurs religieuses dans l'organisation de l'Etat et de la Justice...

« La nation syrienne est le produit d'une unification ethnique du peuple de Syrie qui s'est constituée tout au long de l'histoire. Ce principe définit les constituants de la nation mentionnés dans des articles antérieurs. Il révèle l'actualité concrète de la nation qui est le résultat ultime de la longue histoire de tous les peuples qui se sont établis en Syrie, y ont habité, y ont vécu ensemble et ont finit par fusionner en un seul peuple. Ce processus commença avec les peuples du néolithique qui précédèrent les Cananéens, les Chaldéens, les Assyriens, les Araméens, les Amorrites et les Hittites. C'est pourquoi le principe d'un sentiment national syrien n'est fondé ni sur la race ni sur le sang mais plutôt sur une unité sociale naturelle dérivée d'une homogénéisation des mélanges. Par ce principe, les intérêts, les buts et les idéaux de la nation syrienne sont unifiés et la cause nationale est préservée de la disharmonie, de la désintégration, des conflits qui résultent de loyautés primitives par les liens du sang » (Antoun Saadé, fondateur du Parti socialiste nationaliste syrien, 1947).


Dans cette veine, on trouve d'autres chrétiens comme Georges Habache (Lydda/Lod 1926 - Amman 2008), médecin chrétien palestinien, chef du FPLP très influencé par Nasser ; Wadie Haddad (Safed 1927 - Berlin-Est 1976), un dentiste palestinien, versé dans le terrorisme spectaculaire, ami de Carlos ; mais aussi des Sunnites comme Salahedine Bitar (Damas 1912 - Paris 1980) ou Akram Hourani (Hama 1912 - Amman 1996), fondateur du Parti socialiste arabe. Les convictions "innées" l'ont souvent cédé aux convictions acquises.
La Syrie est encore aujourd'hui réputée laïque, sans doute le seul Etat arabe dans son cas. La guerre civile syrienne n'est pas totalement confessionnelle du moment que les communautés sont fracturées entre les trois ou quatre camps qui se disputent le pays. Mais certains acteurs extérieurs y poussent comme les Emirats et l'Arabie saoudite pour clarifier les canaux de financement. Une vraie guerre de religion est tellement plus simple.

Cette guerre semi-confessionnelle met en porte-à-faux la plupart des hiérarques religieux qui doivent veiller sur des ouailles divisées. C'est pour cela qu'on peut entendre tout et son contraire à ce niveau. Le vice-président syrien, Farouk al-Chareh, 73 ans, est sunnite comme la grande majorité des insurgés, mais il fait un pronostic de long conflit de par la résistance prouvée du régime alaouite qui a appelé en soutien toutes compétences disponibles sans se focaliser sur la religion. Car les buts de guerre ne sont apparemment pas religieux : est-on si sûr que l'Occident et ses alliés du Golfe soient si pressés d'en finir en Syrie ? L'écroulement de ce pays annule un ennemi dangereux à la frontière nord-est d'Israël pour les uns, un allié dangereux de l'Iran pour les autres. Le seul parti homogène serait le parti druze derrière Walid Joumblatt qui navigue au plus près du vent et donne des consignes claires sans avoir peur de les modifier selon les circonstances, ce qui s'appelle gou-ver-ner. Quoiqu'il en soit et pour longtemps, chacun se définit par rapport à sa religion. La politique maçonnique du Quai d'Orsay dans le droit fil de la IIIè République a fait pschitt !


Les Druzes toujours dans le camp du vainqueur




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