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Désagrégation d'une nation

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Libres propos laissés au Lien légitimiste, qui sont publiés dans sa 60è livraison de novembre-décembre 2014. Ce numéro, sorti à la Noël, marque les dix ans du journal relancé par Gérard de Villèle en continuation du lien légitimiste de Touraine. A la fin de cette lecture, on pourra jeter un coup d'œil sur la brève notice Sed Lex publiée avant-hier sur Steppique Express.
On s'abonne pour six numéros par an à prix cadeau à l'édition électronique en envoyant son chèque de dix euros (10€) au Lien Légitimiste - 2, Le Petit-Prix - 37240 La Chapelle-Blanche-Saint-Martin. Edition papier à 24 euros, c'est celle que je prends, plus facile à laisser traîner ci et là.

- cliché de Ferdinand Mulnier -
Ernest Renan écrit : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.»

Les jeunes Français qui abandonnent la Patrie pour accomplir l'établissement du Califat sur les rives de l'Euphrate, se retranchent définitivement de la Nation. Ils n'en sentent plus ni l'esprit d'unité ni la chaleur intrinsèque. Ils rompent un lien qu'ils ne voient pas. On pourrait disserter ainsi sur l'existence de ces deux caractères au sein d'une société clivée par un régime politique qui par essence ne prospère que sur l'affrontement de deux camps, obsédés l'un et l'autre par l'écrasement des antagonistes. Dans la lutte des classes qui ouvre les portes d'un déclin inéluctable, l'unité est un artifice de tribune ; quant à la chaleur de la Patrie, elle est depuis longtemps éteinte par la honte officielleà évoquer notre identité nationale comme si elle était le ressort des pires heures de notre histoire. Qu'en pensent-ils, eux ?

Les experts leur dénient de penser. De gros cerveaux expliquent le voyage en islam de jeunes Français de souche convertis, comme une réaction psychologique à un environnement très réducteur asséchant tous liens sociaux, environnement qui bloque le développement de la personnalité et conduit certains à s'épanouir dans une communauté étrangère à la Nation, substituant au moi individuel un moi collectif(c'est de Freud). Cette communauté de rechange a tous les attributs d'une nation. Elle est bien la somme d'une grande famille avec laquelle on se sent uni pour la vie et à la mort, tant par une prédisposition naturelle augmentée de cet environnement déficient, que par consentement. L'ultime avatar de cette renaissance est d'accepter le sacrifice de sa vie pour conquérir l'espace nécessaire à l'établissement de cette nation, afin qu'elle dispose d'un Etat qui la représentera à l'extérieur et l'administrera à l'intérieur ! Y sacrifier sa vie, même s'il ne s'agit que de hâter une fin inéluctable, revient à obéir aux devoirs impérieux qu'exigerait une Patrie de ses enfants. Finalement c'est grave !

La déconstruction du sentiment national lancée depuis les années trente aboutit ainsi au quasi-décès de la Nation. Si l'on considère que les brigades djihadistes françaises ne sont qu'un urticaire personnel circonscrit à des populations mentalement affaiblies – c'est la nouvelle doxa qui tend à hospitaliser les rescapés revenant à la maison – on évite de prendre la mesure de l'étendue des dommages. Et cela arrange bien la classe politique qui fait ou laisse faire depuis si longtemps la manœuvre d'étouffement de la fierté française. Ces désertions en sont le marqueur, le signal de fin de course ; nous sommes au taquet, face au mur !

La Rue des Saussaies peut bien amasser des sacs de sable en digue pour retenir le flot des retours prévisibles qu'elle ne traitera que les effets, les métastases du cancer central. La République semble bien incapable d'aller au fond des choses jusqu'à remettre en cause les principes destructeurs qu'elle diffuse, même si dans l'urgence d'attaques meurtrières elle saura contrer, voire prévenir le chaos par une éradication externalisée de la menace. La société aux dépens de laquelle elle vit n'en restera pas moins inquiète, fragmentée et quelque part inhospitalière aux pauvres en esprit des Béatitudes. Il lui manque l'âme. Elle l'a depuis longtemps vendue aux dieux qu'elle a créés pour remplacer Celui qui l'empêchait de rompre les chaînes d'une transcendance. Le plus formidable de ces nouveaux dieux, Mammon, est de tous les discours, de tous les instants, la jauge universelle ; son service, une hémorragie permanente de substance nationale, la perte de la morale publique, l'abandon de l'éthique du pouvoir. Lendemains tout à fric, lendemains passionnants ! A tel point qu'un quart de la classe d'âge instruite veut partir à l'étranger, quitter le plus beau pays du monde, pour se réaliser ailleurs. Tous n'y parviennent certes pas, mais les contingents d'expatriés n'ont jamais été aussi nombreux. Le français est devenu la deuxième langue de la City de Londres ! Nous pullulons jusqu'aux antipodes comme les Chinois de la Grande Famine des derniers Tsings.

Qui va relever les ruines ? Le syndrome gaulois de l'homme fort privilégie la personnalisation du sursaut ; le césarisme fut de tous temps un régime accepté en France. L'apport exogène de populations méridionales imprégnées du culte du chef renforce cette prédisposition à déléguer les soucis à une Providence incarnée qui se chargera du faix, quelles qu'en soient les contreparties qu'elle exigera. Ceci croise à angle droit les principes d'une démocratie à la mode de Westminster, en principe capable d'expression collective du Bien commun. C'est ainsi que la République française n'a jamais pu avancer vers un meilleur arbitrage des choix populaires au point de trafiquer les modes de scrutin pour y gagner des majorités de gouvernement, même au niveau local, un comble ! Le corps électoral est immature par éducation, incapable d'élever sa conscience citoyenne, il se laisse imposer la règle de fer d'une oligarchie qui tranche et coupe à sa place, dans tous les domaines même les plus triviaux ; à voir l'enthousiasme que suscite en France le système post-soviétique russe de substitution d'une police politique au débat démocratique, on n'en peut douter. Heil ! le Csar !

Cette prédisposition a-démocratique de l'Opinion française est naturellement favorable à l'instauration d'une monarchie. Si le modèle ancien, éprouvé sur huit siècles, est intellectuellement séduisant – les démonstrations de Jean Bodin, pour ne prendre que lui, sont définitives - il est aujourd'hui dépassé. Non pas tant dans la réunion des pouvoirs qui est couramment exercée de nos jours par nos monarques républicains que par l'image désastreuse du triple effondrement du concept. La monarchie autonome (ou absolue pour les puristes) du XVIII° siècle bâtie sur une charpente féodale vermoulue, fut battue par la guerre civile de 1789 et ne put jamais se relever ; ses versions modernisées dans un souci d'ordre public le furent à leur tour, au bénéfice final de la Forge et de la Banque, implacables ennemis de tout contempteur de l'Argent-roi, parfaitement aptes à diviser pour régner. Et nous en sommes là !

Pour changer de paradigme et ramener une éthique de gouvernement au pouvoir, n'est crédible aujourd'hui que le modèle septentrional : une monarchie constitutionnelle incarnant l'Etat protecteur de la Nation et que les Français pourraient ajuster aux contours du domaine régalien qui est le plus endommagé et qui, nonobstant le régime retenu, nécessite de toute façon une restauration de fond en comble. Elle prendra sur elle une promesse d'excellence dans l'exercice des seuls pouvoirs régaliens, actuellement abandonnés aux caprices des majorités successives. Pour éviter, comme à chaque fois, la captation du changement de paradigme par la bourgeoisie affairée, il n'y aura que la démocratie directe aux étages subalternes capable de résister. Peut-on rappeler que les princes prétendant accéder sont tous sur une ligne constitutionnelle ? Par contre sur la démocratie à la suisse, sous toute réserve, ils n'ont rien dit.

Que le cœur de l'Etat soit un jour administré de manière intègre, honnête, et la société rassurée recommencera à s'organiser en nation dans le foisonnement libérateur de ses occupations. L'Etat revenu sous sa forme monarchique, ramassé sur des pouvoirs régaliens exclusifs et strictement borné, ne devrait avoir de mission que celle d'une morale exemplaire dans le gouvernement des hommes, loin du tumulte des idées aux plans économiques et sociaux que la Nation devra se réapproprier. Sous la surveillance voire la conduite du roi en ses conseils, formule consacrée qui interdit l'autocrate, l'Etat exemplaire au-dessus de la mêlée démocratique laissera renaître une certaine fierté d'être Français et peut-être aussi le consentement de résidants étrangers à vivre selon nos mœurs et sous nos justes lois, annulant autant qu'il est possible la tentation d'utiliser sa vie à la propagation d'une barbarie aussi terrible que celle de l'Etat islamique en Syrie et au Levant. Il faut y croire.

Notes de lectures récentes :
. Jean-Luc Vannier, psychanalyste et chargé de cours à l'université de Nice Sophia-Antipolis, « Dans la tête d'un djihadiste » chez Causeur
. Joseph Macé-Scaron, Directeur de Marianne, « La Panique identitaire » (Grasset)
. Maurice La Chatre, Dictionnaire universel (1856), entrée : Patrie : s.f. […] au point de vue philosophique, la patrie est le cercle dans lequel nous avons enfermé nos affections. Où est notre cœur, là est la patrie...


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