Cet article est paru dans le n°61 du Lien légitimiste (janvier-février 2015) sous ce même titre. Il entre en archives RA avec un petit appareil critique que ne permettait pas l'espace concédé dans le journal papier. A la relecture, c'est compliqué. En deux phrases, la Morale est comme la guerre, un art d'exécution. L'homme ne pense bien que ce qu'il fait, agir sans penser est stupide, penser sans agir est sans valeur ajoutée. C'est plus clair ? Non ? Alors je vous laisse avec les 1400 mots qui suivent.
D'aucuns lancent les idées en l'air comme des oiseaux au plaisir de les voir voler, moi, je suis comme le chien qui piste les effluves d'une vérité (sagesse chinoise).
Les oiseaux volent au-dessus du royalisme français. Depuis que s'est évanouie l'espérance raisonnable d'une restauration dans les formes*, nos bataillons irréductibles se sont armés pour la dénonciation systématique du régime en cours en proposant le changement de paradigme comme remède magique à nos maux. Quel est-il ? Le Roi ! Et après ? Tout commence. Si nous savons parfaitement désigner « le roi » en appliquant scrupuleusement les Lois fondamentales du royaume, nous ne savons trop avancer plus loin dans l'expression de lendemains qui chanteraient, car dans l'esprit du royaliste tout remonte au prince et tout provient de lui. Donc, à l'image du magot cantonais précité, nous lançons des idées, de jolies idées dans le ciel de nos interlocuteurs, mais ne savons indiquer la piste d'aucune construction politique qui leur parlerait puisqu'il ne nous appartient pas de choisir. Ainsi nos effectifs, comme l'influence que nous pourrions avoir sur l'Opinion, stagnent-ils depuis cette rupture de l'espérance, et les bouleversements prévisibles que notre pays devrait subir seront pour nous un spectacle attristant, sans aucun levier dans nos mains que d'inutiles prières pour nous rassurer de notre aphasie. Nous n'agirons pas.
Quand Charles Maurras disait qu'en politique le désespoir était une sottise absolue, il se levait chaque jour pour aller au marbre de sa guerre personnelle et n'avait jamais envisagé qu'on n'ait pas remonté le réveil ! Et malgré tout, le six-février se passa pour lui à lancer l'oiseau, le chien, lui, revint bredouille ; il aurait dû tout arrêter le 7 février 1934. Le royalisme français, bercé d'illusions, dort depuis, qui a abandonné toute stratégie de conquête car il n'en conçut aucune dans le champ des réalités et fit chaque fois sans succès confiance à l'improvisation d'autrui jusqu'à se chercher le Monk du moment. La plus aboutie sinon la plus récente tirait argument d'un retour à la constitution de 1958, non altérée par la dérive césarienne de 1962, pour faire voter au Roi par le Congrès réuni à Versailles. L'idée n'est pas si mauvaise qu'elle ne puisse convaincre des esprits déliés comme Jack Lang qui un jour acquiesçait au remplacement du président par un monarque permanent afin de stabiliser les institutions (il est agrégé de droit public). Faut-il encore savoir diffuser cette idée avec précision, au bon endroit et obtenir l'effectif parlementaire adéquat.
A défaut, le royalisme français en reste au débat convenu, anti-libéral, anti-parlementaire, anti-maçon, quasiment crypté, car sa thèse unique du prince-mage est inexplicable à l'extérieur du cénacle. Qui s'aventure dans des spéculations gratuites partira en tous sens car il n'y a aucun axe officiel, hormis la brève indication du prince de Bourbon à privilégier une monarchie du modèle espagnol bien difficile à adapter chez nous sinon à comprendre déjà ; quand son cousin d'Orléans de la même génération parle avec affection de la monarchie bourgeoise de Juillet depuis longtemps disparue. Reste l'échappatoire du roi de vitrail de Jean Raspail qui, juge-arbitre en dernier ressort, protège depuis son ermitage la propagation magnétique de la doctrine sociale de l'Eglise. Cette allégorie n'est en rien politique mais ne mange pas de pain. Peut-être que la désintégration du noyau atomique ou quelque chose d'énorme comme la prophétie de Houellebecq nous y conduira-t-elle ! En attendant, nous sommes secs !
L'Action étant le conditionnement souhaitable de la Réflexion politique en ce qu'elle borne son vagabondage au contour des réalités, l'ambition naturelle du royalisme français d'établir une monarchie oblige à se déprendre de l'étreinte des commémorations en chaîne pour entrer en lices et combattre au sol, au milieu du monde réel. Cette évidence conduisit Yves-Marie Adeline à créer une offre institutionnelle originale comme plate-forme politique de l'Alliance royale en 2001. Sa diffusion fut freinée par l'impécuniosité génétique du mouvement, par une pré-campagne électorale épuisante menée en 2006, par la défiance des Maisons, parfois active quand le comte de Paris se déclara au même moment pour le candidat de la droite républicaine. Avant le départ de la course, un homme brillant et presque seul n'était parvenu à convaincre les cinq cents parrains réglementaires, inféodés au Système par choix délibéré du législateur. Ses successeurs, sans doute intimidés par la vente d'une constitution aboutie, ont dévié ce projet trop lourd vers la réparation des moeurs de notre République, oubliant trop souvent l'essentiel pour ne pas dire son seul attrait. Des cercles pleureurs nous avons pléthore !
Un parti royaliste, créé pour ensemencer l'Opinion de l'idée du retour d'un roi afin d'obtenir la libre-pratique de son accession future, doit propager un message clair, un programme assimilable par tous, et présenter des personnes douées pour les relations humaines. L'Alliance royale a ces atouts indispensables qu'elle n'utilise pas toujours, mais il faut aussi le numéraire pour porter la nouvelle offre politique le plus loin possible. En ce domaine les militants n'y suffiront pas ; qu'en pensent les princes ? Lui faut-elle approcher les Emirs ? Fort heureusement ce parti possède ce fonds institutionnel que les autres n'ont pas et peut s'investir avec plus de pertinence dans l'Action – il a quelque chose dans la main - ce qui le prédispose à une réflexion positive voire une méditation utile sur la finalité de l'exercice.
Jusqu'ici, ce paradoxe de la réflexion passive dans le champ politique passait de génération en génération, à ne jamais savoir choisir. Fallait-il se contenter de maintenir le souvenir d'une monarchie qui fit de grandes choses dans le passé et ce pays d'abord, afin qu'une opportunité de restauration dans le futur garde ses racines authentiques ? Devait-on consacrer son énergie et ses moyens à soutenir le prince de son choix afin que la roue dynastique ne cesse de tourner ? Mais pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre ? Ne valait-il pas mieux s'en remettre aux décisions de la Providence bien qu'Elle semble nous ignorer terriblement depuis 222 ans ? C'est le choix du confort intellectuel et moral, on y peut gloser pour l'éternité sur les péchés mortels de l'espèce humaine qui nous prive du renfort divin. A tout cela, nulle réponse claire des princes. Mais surtout un grand désordre dans une logique politique floue en perpétuel devenir.
Si nous aimions vraiment la monarchie comme gage de sûreté pour l'accomplissement personnel des générations montantes – nos enfants - il n'y aurait pas d'autre choix au milieu du désordre conceptuel que d'en reconstruire nous-mêmes le corps de doctrine. De quoi nous sert l'évocation éthérée de pouvoirs monarchiques mal cernés ? De bavardage stérile. Et quand nous manifestons avec morgue notre mépris des royaumes du Nord, nous exposons avec un ridicule achevé notre parfaite incompréhension de la finesse de leur réglage constitutionnel. C'est de la paresse intellectuelle que de vouloir ignorer comment ça marche. Il serait avisé de faire l'aggiornamento sur la base des principes reconnus par les penseurs-acteurs des temps anciens, quand la monarchie française était bien vivante pour contenir la réflexion dans les limites du bon sens. On sait les noms des grands philosophes qui ont édicté les lois d'organisation, on sait moins ceux des praticiens qui inventèrent des formules de bonne application, impulsant les réformes qui sortiront plus tard. Les Vauban, Turgot, Calonne pour ne citer qu'eux, restent méconnus et mériteraient d'être amenés au chantier. Ces principes reconsidérés et les idées dérivées d'eux seront à transformer bien sûr pour correspondre au pays réel d'aujourd'hui.
Les jeunes cadres du mouvement accédant maintenant aux pupitres et découvrant le désert verraient sans doute d'un bon œil l'instauration d'une Constituante du mouvement royaliste sous la forme d'Assises permanentes dont la mission serait de produire ce corpus doctrinal. La tentative du Groupe de Liaison royaliste de 2008 a échoué, nous interdisant d'en rester là. Nous y convoquerions les pointures du droit constitutionnel qui savent organiser des pouvoirs, les exégètes de la ruine monarchique qui brideraient les emballements, des créateurs, des jeteurs d'idées, des passionnés, mais surtout des acteurs majeurs de la vie économique du pays qui aujourd'hui délaissent nos rangs, ayant peu de temps libre pour prendre le soleil du grand siècle dans des arrière-salles de café. Reste à réduire à sa plus simple expression la représentation de ces courtisans indélogeables qui comme les capricornes affaiblissent les charpentes les mieux montées... même celles des instituts.
Articuler la réflexion aux réalités de ce monde qui par bien des aspects peut nous déplaire, en méditant sur les causes de l'effondrement antérieur, serait sans doute le début d'une conversion des royalistes de la Contemplation à l'Action.
(*) Déclaration Chambord du 5 juillet 1871 dite du drapeau blanc (cf. la Sylmpedia)
- Pascal - Pensées -Sect.II, sur la vertu thérapeutique de l'action : "Pour les âmes inquiètes portées aux tourments intérieurs, l'action est le seul remède"
- Bergson au Congrès Descartes de 1937 : "Je sais qu'on peut discuter sur les rapports de l'action et de la pensée, mais la devise que je proposerais au philosophe est la plus simple de toutes et la plus cartésienne. Je dirais qu'il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action"
- Goethe : "Penser est facile, agir est difficile. Agir selon sa pensée est ce qu'il y a au monde de plus difficile"
- M. de Saci - Faire germer la réflexion morale sur les actes ordinaires de la vie (cf. chez Pascal l'entretien avec M. de Saci)
- Pascal - Pensées -Sect.II, sur la vertu thérapeutique de l'action : "Pour les âmes inquiètes portées aux tourments intérieurs, l'action est le seul remède"
- Bergson au Congrès Descartes de 1937 : "Je sais qu'on peut discuter sur les rapports de l'action et de la pensée, mais la devise que je proposerais au philosophe est la plus simple de toutes et la plus cartésienne. Je dirais qu'il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action"
- Goethe : "Penser est facile, agir est difficile. Agir selon sa pensée est ce qu'il y a au monde de plus difficile"
- M. de Saci - Faire germer la réflexion morale sur les actes ordinaires de la vie (cf. chez Pascal l'entretien avec M. de Saci)