Le ministre des armées parle allemand. Conseiller de Romano Prodi à la Commission européenne, chargée du suivi des travaux constitutionnels de Valéry Giscard d'Estaing, l'énarque fut avant cela et pendant dix ans dans la direction des affaires juridiques du Quai d'Orsay, au sein d'une cellule chargée de suivre la réunification allemande d'Helmut Kohl. A ces titres divers, elle a la Bundesverdienstkreuz (Croix du Mérite fédéral). Elle est ce qu'il est convenu d'appeler une pointure. Son mari étant conseiller d'Etat, elle fait partie de la noblesse républicaine. Entre deux rapports et trois bouquins, elle publia un pamphlet assez corrosif Le Grand Turc et la République de Venise signalant son peu d'engouement pour les ambitions européennes de la Sublime Porte.
Sylvie Goulard et Jean-Yves Le Driant sont les deux poids lourds de ce gouvernement Philippe I. Il n'est pas innocent qu'ils prennent deux domaines réputés appartenir au domaine réservé gaullien, signalant par là que le président Macron va s'appuyer au dossier du fauteuil et laisser gouverner - mais on peut se tromper et soutenir aussi que le combat politique étant porté d'abord sur le Code du Travail, il sera utile que les deux ministères régaliens tournent comme une montre autonome. Goulard étant plutôt typée "Quai", il y aura une bonne entente entre les affaires étrangères et la défense.
Mettre une européiste décorée de la croix de ferà la tête de la défense nationale induit-il que l'axe de progression de nos affaires militaires puisse aller vers cette défense franco-allemande voire européenne qui fait chanter et sauter les cabris ? Nous allons partir de cette hypothèse très plausible.
Les difficultés soulevées par la construction d'une défense commune sont bien connues :
Nous allons développer brièvement chaque item.
(I)- A la chute du Mur, tous les pays libérés du glacis soviétique ont candidaté à l'OTAN avant même d'ouvrir des négociations avec le Marché commun. Le déplacement d'une brigade américaine complète en Courlande pour faire baisser le ton du Kremlin comparé à l'impassibilité atlantique dans l'affaire de Géorgie (non-membre) leur a bien fait comprendre la différence entre le in et le out ! A l'heure où nous écrivons, il n'existe aucun pays de l'Est réclamant une défense européenne, d'autant que les élections françaises ont montré une forte hostilité à l'égard de l'OTAN et une compréhension tout à fait étonnante de certains partis à l'égard de la Russie. Des parlementaires français sont même allés en Crimée célébrer l'annexion russe. Or, qu'on le veuille ou non, c'est la France, puissance nucléaire du continent, qui a le majorat de cette défense européenne. Alors risquer le commandement futur d'idiots utiles du FSB n'emballe pas les anciens du Pacte de Varsovie.
(II)- Si tous les pays aujourd'hui dans l'OTAN ont bien compris la nécessité d'accroître les dotations, dans le cas d'un budget européen se posera le problème de la contribution hybride française dans l'enveloppe des 2%. Que vaut la force de dissuasion française dans la défense commune ? Les Français veulent la compter dans les 2% et même la sortir du déficit budgétaire (les 3% de l'Eurozone), les autres pensent déjà que c'est un choix franco-français, un parapluie franco-français, presque un caprice gaullien. A suivre.
(III)- La différence de puissance militaire entre la France, l'Allemagne et les pays de second rang est grande. Il peut y avoir une perception d'écrasement, surtout chez les Etats à palmarès militaires comme la Hollande, le Danemark, la Suède, l'Espagne et dans une moindre mesure la Pologne et l'Italie. Ecouter et adopter les préconisations normalisées, les standards opératoires voire les matériels de guerre de la première puissance du monde ne se transposera pas facilement à des puissances militaires moyennes comme la France ou l'Allemagne. La Grande Bretagne apportait jusqu'ici un point d'équilibre au triangle de puissance par la réputation de son escadre, la technicité exemplaire de son corps d'armée et la retenue en tous temps de son état-major. C'est le point suivant.
(IV)- Outre la qualité des moyens offerts, la Grande Bretagne est aussi un partenaire important dans les moteurs d'avions, les turbines et les missiles aéronautiques. Nous avons des programmes en commun qui nous sont indispensables et on n'a jamais rien fait de mieux que l'Amirauté pour tenir le flanc atlantique de l'Europe. C'est elle qui actuellement repousse les provocations aériennes russes.
(V)- La question du commandement ne se posera pas au début puisque le projet de défense européenne va avancer masqué derrière un commandement provisoire multinational qualifié d'état-major ou tout autre mot-valise, sinon même enchâssé dans le commandement intégré atlantique - plus c'est compliqué, plus ça plaît aux technocrates. Mais à la première crise, dans quelques années, la question arrivera sur la table ou la caisse à sable ! Quel pays prendra le leadership ? La France croit le faire, les autres le redoutent.
En conclusion, nous avons toujours soutenu que le critère premier d'une alliance organisée pour la guerre doit être l'efficacité du dispositif bien avant les questions de souveraineté. On ne peut donc qu'attendre ce que vont aligner les quatre ou cinq pays capables de faire manœuvrer des corps d'armée. Et disons-le tout net, rien ne sera redoutable sans la participation de la Grande Bretagne.
Et la dernière pour la route : une alliance de guerre doit aussi faire peur, c'est même primordial et c'est ce que l'OTAN a réussi.
On peut comprendre que la Russie puisse s'inquiéter de cette perspective européenne, et on s'amusera à lire les mises en garde et autres dénonciations/révélations des agents d'influence du Kremlin à Paris, vent debout contre l'Europe organisée. Mais avec Emmanuel Macron, cela risque bien de ne pas suffire. Il a l'air d'en vouloir, le salaud !
Sylvie Goulard et Jean-Yves Le Driant sont les deux poids lourds de ce gouvernement Philippe I. Il n'est pas innocent qu'ils prennent deux domaines réputés appartenir au domaine réservé gaullien, signalant par là que le président Macron va s'appuyer au dossier du fauteuil et laisser gouverner - mais on peut se tromper et soutenir aussi que le combat politique étant porté d'abord sur le Code du Travail, il sera utile que les deux ministères régaliens tournent comme une montre autonome. Goulard étant plutôt typée "Quai", il y aura une bonne entente entre les affaires étrangères et la défense.
Mettre une européiste décorée de la croix de ferà la tête de la défense nationale induit-il que l'axe de progression de nos affaires militaires puisse aller vers cette défense franco-allemande voire européenne qui fait chanter et sauter les cabris ? Nous allons partir de cette hypothèse très plausible.
Les difficultés soulevées par la construction d'une défense commune sont bien connues :
(i)- réticences des pays de l'Est à prendre leurs distances avec le commandement intégré NATO ;
(ii)- budget : personne ne veut payer deux fois, une fois pour l'OTAN, une fois pour la CED, d'autant que la cible des 2% du pib doit être atteinte ;
(iii)- peu d'enthousiasme des peuples à voir revenir dans la géostratégie européenne la France (qui s'est battue pendant des siècles contre tous ses voisins) et/ou l'Allemagne même fédérale (?!) ;
(iv)- place et utilité de la Grande Bretagne dans la configuration continentale ;
(v)- enfin la question qui tue : qui commande ?
Nous allons développer brièvement chaque item.
(I)- A la chute du Mur, tous les pays libérés du glacis soviétique ont candidaté à l'OTAN avant même d'ouvrir des négociations avec le Marché commun. Le déplacement d'une brigade américaine complète en Courlande pour faire baisser le ton du Kremlin comparé à l'impassibilité atlantique dans l'affaire de Géorgie (non-membre) leur a bien fait comprendre la différence entre le in et le out ! A l'heure où nous écrivons, il n'existe aucun pays de l'Est réclamant une défense européenne, d'autant que les élections françaises ont montré une forte hostilité à l'égard de l'OTAN et une compréhension tout à fait étonnante de certains partis à l'égard de la Russie. Des parlementaires français sont même allés en Crimée célébrer l'annexion russe. Or, qu'on le veuille ou non, c'est la France, puissance nucléaire du continent, qui a le majorat de cette défense européenne. Alors risquer le commandement futur d'idiots utiles du FSB n'emballe pas les anciens du Pacte de Varsovie.
(II)- Si tous les pays aujourd'hui dans l'OTAN ont bien compris la nécessité d'accroître les dotations, dans le cas d'un budget européen se posera le problème de la contribution hybride française dans l'enveloppe des 2%. Que vaut la force de dissuasion française dans la défense commune ? Les Français veulent la compter dans les 2% et même la sortir du déficit budgétaire (les 3% de l'Eurozone), les autres pensent déjà que c'est un choix franco-français, un parapluie franco-français, presque un caprice gaullien. A suivre.
(III)- La différence de puissance militaire entre la France, l'Allemagne et les pays de second rang est grande. Il peut y avoir une perception d'écrasement, surtout chez les Etats à palmarès militaires comme la Hollande, le Danemark, la Suède, l'Espagne et dans une moindre mesure la Pologne et l'Italie. Ecouter et adopter les préconisations normalisées, les standards opératoires voire les matériels de guerre de la première puissance du monde ne se transposera pas facilement à des puissances militaires moyennes comme la France ou l'Allemagne. La Grande Bretagne apportait jusqu'ici un point d'équilibre au triangle de puissance par la réputation de son escadre, la technicité exemplaire de son corps d'armée et la retenue en tous temps de son état-major. C'est le point suivant.
(IV)- Outre la qualité des moyens offerts, la Grande Bretagne est aussi un partenaire important dans les moteurs d'avions, les turbines et les missiles aéronautiques. Nous avons des programmes en commun qui nous sont indispensables et on n'a jamais rien fait de mieux que l'Amirauté pour tenir le flanc atlantique de l'Europe. C'est elle qui actuellement repousse les provocations aériennes russes.
(V)- La question du commandement ne se posera pas au début puisque le projet de défense européenne va avancer masqué derrière un commandement provisoire multinational qualifié d'état-major ou tout autre mot-valise, sinon même enchâssé dans le commandement intégré atlantique - plus c'est compliqué, plus ça plaît aux technocrates. Mais à la première crise, dans quelques années, la question arrivera sur la table ou la caisse à sable ! Quel pays prendra le leadership ? La France croit le faire, les autres le redoutent.
M51 français |
En conclusion, nous avons toujours soutenu que le critère premier d'une alliance organisée pour la guerre doit être l'efficacité du dispositif bien avant les questions de souveraineté. On ne peut donc qu'attendre ce que vont aligner les quatre ou cinq pays capables de faire manœuvrer des corps d'armée. Et disons-le tout net, rien ne sera redoutable sans la participation de la Grande Bretagne.
Et la dernière pour la route : une alliance de guerre doit aussi faire peur, c'est même primordial et c'est ce que l'OTAN a réussi.
On peut comprendre que la Russie puisse s'inquiéter de cette perspective européenne, et on s'amusera à lire les mises en garde et autres dénonciations/révélations des agents d'influence du Kremlin à Paris, vent debout contre l'Europe organisée. Mais avec Emmanuel Macron, cela risque bien de ne pas suffire. Il a l'air d'en vouloir, le salaud !