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De la milice et des armes à feu

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La tuerie de Newton (Conn.) lève à nouveau la dispute sur la prohibition des armes. Bientôt 175.000 signatures au moment de notre rédaction sur la pétition en ligne contre l'accès aux armes déposée sur le site de la Maison Blanche. C'est une réaction normale, de notre côté policé de l'Atlantique, que de voir dans la capacité d'autrui de se fournir en armes de quasi-guerre la source de l'incitation à l'horreur. Une horreur telle que le perpétrateur souvent termine son hubris par lui-même tant la suite est présumée insupportable. Newton, les cheveux se dressent sur la tête, mais chez nous ?
Pour faire (très) court, nous n'avons pas de deuxième amendement dans notre constitution et les armes sont prohibées en détention et en transport sauf pour les adhérents de tir sportif et les chasseurs diplômés ; mais la kalashnikov aboie dans les quartiers de Marseille, le Colt 45 dans les villes de Corse ou à Toulouse hier, mais parfois ailleurs comme au Pontet (Avignon) où quelqu'un a rafalé une crèche municipale. Les gens ne lèvent plus les sourcils tant la chose est devenue banale, mais on tire beaucoup plus facilement aujourd'hui dans nos rues.

La situation réelle de certaines parties du territoire laisse accroire que les armes sont interdites à tous sauf aux malfaisants. C'est un peu ce constat simpliste que l'on applique à tort au Deuxième amendement du Bill of Rights américain du 4 mars 1789 : « A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed.». La sécurité de l'Etat commence par celle de chaque citoyen qui en a la responsabilité pour ce qui le concerne personnellement et doit être capable de défendre son carré dans le cadre d'une milice informelle d'Etat. On n'est pas loin du concept helvétique de défense territoriale qui est inapplicable chez aucun de ses voisins. A part les va-nu-pieds chicanos, on ne voit pas qui va envahir le Midwest !
Qu'importe l'absence de danger "extérieur", nous aurions bien du mal à vanter la prohibition aux Etats-Unis pour une autre raison : le pays est construit sur des individualités libres qui sont à la racine de l'Etat. Vous ne pouvez rapporter ou changer le Deuxième amendement sans reconstruire les principes d'Etat, à commencer par redéfinir la suppléance et la subsidiarité dans la gouvernance de la société américaine. Autant dire que c'est infaisable. La "loi du fort" en est la parfaite illustration et nous devons les bases de ce travail à Dominique Laborde dans Le Petit Juriste.

Les lois d'autodéfense américaines prévoient la retraite préalable de l'agressé dans son chez-soi pour prévenir dommages ou blessures indues et pour lui démontrer la volonté explicite de l'agresseur présumé de lui nuire. Cette précaution réalisée, le recours à la force dans le cas d'une intrusion au domicile et ses conséquences sont exempts de poursuites au pénal comme au civil. Mais il y a trois niveaux de sévérité de l'autodéfense selon les Etats.

Vingt-huit Etats¹ sur cinquante prônent la "loi du fort". En anglais, The Castle Doctrine. Elle ne s'applique qu'au domicile et à l'automobile et sous réserve des précautions précédentes, admet le meurtre de l'intrus si la porte a été forcée et si la police locale a enregistré un appel au secours. Ces Etats ont choisi d'encadrer l'autodéfense tout en respectant le Deuxième amendement.

Douze Etats² appliquent une jurisprudence fédérale de 1895 qui donne le droit de se défendre à partir du moment où l'agressé juge de bonne foi l'imminence d'un danger de mort ou de blessures graves. On introduit une dose de perception personnelle qui n'est pas appuyée sur des faits explicites comme précédemment, mais que le défendeur doit pouvoir expliquer. En anglais on l'appelle The Stand-Your-Ground Law. Plus simplement, la loi du fort exige des sommations quand celle-ci s'en passe.

Le Colorado applique la loi de Clint Eastwood dite Make My Day !. L'automobiliste qui stoppe devant la ferme est avisé de rester dans la voiture et d'appeler d'un coup de klaxon et de ne surtout pas descendre. Car il peut être descendu, sans sommation, hésitation ni murmure ou autre retard dommageable à une saine réaction. C'est le permis de tuer chez soi à discrétion.

Les autres Etats³ ont choisi de creuser la question au tribunal, mort par mort, c'est plus sûr. Au fait, si on supprimait les armes à feu pour défendre son chez-soi, rien n'interdirait de fabriquer une arbalète à trait de fer qui traverse un veau à dix mètres. Ce n'est donc pas si simple et Barack Obama l'a bien compris.




Laissons les belles âmes de Paris dénoncer la barbarie éclairée au gaz comme disait Churchill après son premier séjour outre-atlantique, et inquiétons-nous plutôt de la dégradation continue de la sécurité des personnes chez nous, qui va se terminer en un gigantesque arsenal privé, si on continue à "comprendre" ici les motivations des assassins quand ce n'est pas primer l'excuse sociale. Pour terminer, la révision constitutionnelle n'est pas une simple formalité aux Etats-Unis : après un vote aux deux tiers des deux chambres du Congrès, elle exige une ratification par les trois quarts des cinquante Etats de l'Union. Autant dire que le chantier à ouvrir est titanesque.


(1) Alaska, Cal., Conn., Fla., Ga., Hawaï, Ill., Ind., Ia., Kan., Me., Md., Mass., Minn., Miss., Mo., Nev., N.J., N.C., N.D., Ohio, Ore., Pa., R.I., S.C., Utah, W.Va., Wisc., Wyo.
(2) Ala., Ariz., Fla., Ga., Ind., Ky., La., Mich., Mont., N.H., Okla., Pa., Tenn., Texas, Utah, Wash. (certains Etats ont les deux selon les comtés ou les circonstances).
(3) D.C., Id., Nebr., N.M., N.Y., S.D., Vt.

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