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En vue du 16è congrès du Front national

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Le Pen II
Dans six jours se tiendra à Lille le XVIè congrès du Front national sous le régime de la démocratie d'opinion, les adhérents à jour de cotisation ayant reçu un questionnaire en quatre-vingt points pour éclairer le Bureau politique sur ce qu'il doit "penser"! Vingt-sept mille auraient déjà répondu. Mais la grosse affaire qui mettra tout le reste dans l'ombre est le changement de nom du parti. Ignorant la maxime de la cavalerie (à faire une connerie, faites-la vite !) l'état-major frontiste va diluer cette transition dans le temps par un vote postal qui devrait donner son résultat bien après le congrès, ouvrant ainsi une période de sarcasmes médiatiques contre les nationalistes.
Deux absences à prévoir à Lille : le fondateur, Jean-Marie Le Pen semble fatigué de ces joutes familiales, et la refondatrice, Marion Maréchal-Le Pen qui ne peut devenir le recours qu'après le retrait de sa tante, agrippée à un truc qui la dépasse. Les défis complexes exigent des solutions complexes et jusqu'ici tant Marine Le Pen que son défunt féal Philippot n'ont joué que sur deux trous de la flûte, frexit et nouveau franc.

Du discours de Marion Maréchal-Le Pen au Gaylord Convention Center de National Harbor (clic) je ne retrancherais rien si quelqu'un cherchait mon approbation. Il faut dire aussi qu'il est assez simpliste et adapté à son auditoire "chapeaux pointus et croix en feu" ! Mais comparer la France et les Etats-Unis est une figure rhétorique pour cueillir des applaudissements dans ce genre d'enceintes, parce qu'il n'y a rien à comparer sauf ? la prétention à l'universalité de chaque modèle, respectivement, droits de l'homme chez nous, american way of life chez eux.

Si les Etats-Unis peuvent agiter un certain unilatéralisme - mais le maurrassien Steve Bannon n'a pu tenir son créneau au rempart de l'Union - l'état de la France lui interdit d'y penser même en songe. Nous allons parler de ça pour alimenter peut-être des débats de faisabilité qui interviendront à Lille dimanche prochain puisque le débriefing de la campagne présidentielle tourne autour de la question des possibles.

S'il existe des pays souverains, il n'existe plus de pays indépendant. Même le royaume érémitique de Corée du Nord peut mourir du tarissement de ses dépendances. Vouloir revenir à l'Europe des nations du traité de Westphalie est une chose (à bien périmétrer quand même) ; déclarer son indépendance de toute alliance, attache, supranationalité en est une autre.

Le Pen III
Il est toujours possible de retrouver plus d'indépendance dans le concert des nations - la Grande-Bretagne s'essaie à le prouver - mais il est un présupposé incontournable : la santé économique et financière pour se délivrer des agences de notation, des enceintes internationales de pouvoir et des fonds de pensions américains. La sagesse des nations, invoquée à droite quand ça nous arrange, a souvent les bons réflexes. Prenons l'exemple des GIPSIes : parmi les peuples des cinq nations gitanes qui ont été mises sous tutelle du FMI après le krach Lehman Brothers (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Irlande), il ne s'en est trouvé aucun pour réclamer l'abandon de la monnaie commune, encore moins le départ de l'Union européenne. Ils n'avaient aucune confiance dans les capacités de leur pays à survivre seul, et sans doute moins encore dans leurs dirigeants présents ou attendus.
Les cinq pays avaient leur pronostic vital engagé et l'opinion générale prévalut chez eux que c'était le plus mauvais moment pour renverser les alliances. La France de 2018 est dans ce cas, après deux quinquennats dispendieux, plombée par des déficits structurels (les pires) qui semblent impossibles à résorber sur une seule génération. Sans parler de la dette écrasante dont le service à petit prix dévore chaque année l'équivalent du budget de l'Education nationale. On n'ose pas imaginer une hausse des taux d'emprunt sur le marché des dettes ; un pour cent seulement et c'est le budget de la Justice qui est avalé par les gnomes de Zurich ! Donc messieurs du Front, réparez le pays avant de le détacher.

Si la France retrouvait un jour les instruments de sa souveraineté, cela signalerait aux générations futures qu'elle a guéri, et sans doute aussi qu'elle a éradiqué sa classe politique de pourrisseurs. Le chemin sera long car, si le pays est malade dans ses systèmes économiques et sociaux, il l'est d'abord dans les mentalités. C'est l'avachissement mental et moral qui doit être combattu en priorité car il détermine à lui-seul les capacités de redressement. Nul à droite ne veut prendre en compte la veulerie qui plombe tous les programmes de redressement puisque le logiciel nationaliste est construit par et pour un peuple de souche hors du commun, premier au monde, vaillant et résilient, mais affadi par le métissage et la captation de ses intérêts par les métèques. En réalité ce peuple n'a pas fait mieux que ses voisins à l'époque moderne et on lui raconte des histoires.

Bref, quand les comptes seront rétablis pour montrer aux autres que nous savons aussi faire ce qu'ils ont réussi avant nous, viendra le jour de se poser la question de rétablir notre souveraineté. Pas avant, et en sachant que le meilleur aboutissement d'une souveraineté formelle est dans l'optimisation des dépendances stratégiques. Si un parti parvenu au pouvoir aujourd'hui s'avisait de rétablir sa souveraineté formelle par décret, il se syrizerait dans le mois-même de la décision.

Le temps de la "France seule" est terminé depuis cent ans, 1917 exactement ! La "France avec" a succédé à la "France seule". "Avec" veut dire réfléchir sur nous en pensant aux autres, nos voisins et partenaires, à leurs réactions, aux interactions quand nous phosphorons sur notre avenir. C'est ce qu'a apporté la communauté européenne au début, une approche collaborative. Les institutions ont dérivé depuis lors vers une fédération à l'américaine dont on aperçoit les limites maintenant, les intérêts nationaux ne convergent plus, qui pis est, les soucis et les peurs géostratégiques divergent. L'Europe centrale marquée par quarante-cinq ans d'occupation soviétique a son agenda propre, les Baltes et les Scandinaves sont sur le qui-vive à cause de l'irrédentisme russe, les Balkans font du lard et ne servent à rien. Le projet européen est stoppé sur son erre !

Le Pen Ier
Profitons-en ! Cette nation a besoin d'un projet. Que voulons-nous de nous ? Que voulons-nous des autres ? Nos atouts présents et futurs, nos libertés de base, les contraintes que nous acceptons, nos refus irréfragables. Quand le projet sera prêt, il faudra diriger les hommes dans les domaines essentiels à son accomplissement. Qu'on ne mélange pas tout, à ce stade, il n'est pas l'heure d'ouvrir les questions sociétales qui viendront plus tard, ou jamais si l'Etat se retire dans son périmètre régalien. Justement, il faudra redéfinir l'Etat et son champ d'exercice, le domaine public structurant hors-Etat (éducation, transports), les domaines économiques prépondérants, le champ des libertés basses, in fine la respiration générale de la société. Une fois apaisée, nous laisserons évoluer ses mœurs. Je doute que le Front national nouveau soit capable intellectuellement de construire pareil projet.
A défaut de capacités ad hoc, ce n'est pas prêcher pour ma paroisse que de proposer la remise des clés du domaine régalien à un monarque qui réglera tout ça en ses conseils, à l'abri du désordre démocratique. Tout le reste sera abandonné au génie natif de ce peuple créatif et intelligent en diable, qui, si mal gouverné, survit par la débrouille et le marché noir quand on l'y pousse. "L'autorité en haut, les libertés en bas".

Pour retrouver la latitude nécessaire au déroulement du projet, il nous faudra réorganiser nos dépendances européennes et revoir les applications du principe d'attribution/subsidiarité depuis l'intérieur du Leviathan, et pour ce faire, se renforcer dans les instances communautaires. La Grande Bretagne a décidé de faire l'inverse jusqu'à se rendre compte qu'il était impossible de réorganiser ses dépendances de l'extérieur. Le Brexit la met au pied d'un mur lisse ! Soyons plus malins.

Reste pour un autre article la question brûlante de la mutation du peuple en peuples, la cohue démographique en Europe, le communautarisme, l'érosion des valeurs anciennes. C'est un autre sujet... un préalable indépendant du sujet traité aujourd'hui. Il faut prendre à bras-le-corps la question migratoire à l'aune de nos intérêts et cesser de se la jouer recteur universel des droits de l'homme sans devoirs. Ce sont les vieilles terres d'empire, habituées au malaxage des peuples, qui vont nous ouvrir les yeux en bloquant la dérive immigrationniste à Bruxelles même. La revanche de Charles-Quint ?




Postscriptum : Pour préparer le XVIè Congrès on peut aussi lire le long article de James Traub dans Foreign Policy (clic) sur la démocratie illibérale.



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