Le Pen II |
Deux absences à prévoir à Lille : le fondateur, Jean-Marie Le Pen semble fatigué de ces joutes familiales, et la refondatrice, Marion Maréchal-Le Pen qui ne peut devenir le recours qu'après le retrait de sa tante, agrippée à un truc qui la dépasse. Les défis complexes exigent des solutions complexes et jusqu'ici tant Marine Le Pen que son défunt féal Philippot n'ont joué que sur deux trous de la flûte, frexit et nouveau franc.
Du discours de Marion Maréchal-Le Pen au Gaylord Convention Center de National Harbor (clic) je ne retrancherais rien si quelqu'un cherchait mon approbation. Il faut dire aussi qu'il est assez simpliste et adapté à son auditoire "chapeaux pointus et croix en feu" ! Mais comparer la France et les Etats-Unis est une figure rhétorique pour cueillir des applaudissements dans ce genre d'enceintes, parce qu'il n'y a rien à comparer sauf ? la prétention à l'universalité de chaque modèle, respectivement, droits de l'homme chez nous, american way of life chez eux.
Si les Etats-Unis peuvent agiter un certain unilatéralisme - mais le maurrassien Steve Bannon n'a pu tenir son créneau au rempart de l'Union - l'état de la France lui interdit d'y penser même en songe. Nous allons parler de ça pour alimenter peut-être des débats de faisabilité qui interviendront à Lille dimanche prochain puisque le débriefing de la campagne présidentielle tourne autour de la question des possibles.
S'il existe des pays souverains, il n'existe plus de pays indépendant. Même le royaume érémitique de Corée du Nord peut mourir du tarissement de ses dépendances. Vouloir revenir à l'Europe des nations du traité de Westphalie est une chose (à bien périmétrer quand même) ; déclarer son indépendance de toute alliance, attache, supranationalité en est une autre.
Le Pen III |
Les cinq pays avaient leur pronostic vital engagé et l'opinion générale prévalut chez eux que c'était le plus mauvais moment pour renverser les alliances. La France de 2018 est dans ce cas, après deux quinquennats dispendieux, plombée par des déficits structurels (les pires) qui semblent impossibles à résorber sur une seule génération. Sans parler de la dette écrasante dont le service à petit prix dévore chaque année l'équivalent du budget de l'Education nationale. On n'ose pas imaginer une hausse des taux d'emprunt sur le marché des dettes ; un pour cent seulement et c'est le budget de la Justice qui est avalé par les gnomes de Zurich ! Donc messieurs du Front, réparez le pays avant de le détacher.
Si la France retrouvait un jour les instruments de sa souveraineté, cela signalerait aux générations futures qu'elle a guéri, et sans doute aussi qu'elle a éradiqué sa classe politique de pourrisseurs. Le chemin sera long car, si le pays est malade dans ses systèmes économiques et sociaux, il l'est d'abord dans les mentalités. C'est l'avachissement mental et moral qui doit être combattu en priorité car il détermine à lui-seul les capacités de redressement. Nul à droite ne veut prendre en compte la veulerie qui plombe tous les programmes de redressement puisque le logiciel nationaliste est construit par et pour un peuple de souche hors du commun, premier au monde, vaillant et résilient, mais affadi par le métissage et la captation de ses intérêts par les métèques. En réalité ce peuple n'a pas fait mieux que ses voisins à l'époque moderne et on lui raconte des histoires.
Bref, quand les comptes seront rétablis pour montrer aux autres que nous savons aussi faire ce qu'ils ont réussi avant nous, viendra le jour de se poser la question de rétablir notre souveraineté. Pas avant, et en sachant que le meilleur aboutissement d'une souveraineté formelle est dans l'optimisation des dépendances stratégiques. Si un parti parvenu au pouvoir aujourd'hui s'avisait de rétablir sa souveraineté formelle par décret, il se syrizerait dans le mois-même de la décision.
Le temps de la "France seule" est terminé depuis cent ans, 1917 exactement ! La "France avec" a succédé à la "France seule". "Avec" veut dire réfléchir sur nous en pensant aux autres, nos voisins et partenaires, à leurs réactions, aux interactions quand nous phosphorons sur notre avenir. C'est ce qu'a apporté la communauté européenne au début, une approche collaborative. Les institutions ont dérivé depuis lors vers une fédération à l'américaine dont on aperçoit les limites maintenant, les intérêts nationaux ne convergent plus, qui pis est, les soucis et les peurs géostratégiques divergent. L'Europe centrale marquée par quarante-cinq ans d'occupation soviétique a son agenda propre, les Baltes et les Scandinaves sont sur le qui-vive à cause de l'irrédentisme russe, les Balkans font du lard et ne servent à rien. Le projet européen est stoppé sur son erre !
Le Pen Ier |
A défaut de capacités ad hoc, ce n'est pas prêcher pour ma paroisse que de proposer la remise des clés du domaine régalien à un monarque qui réglera tout ça en ses conseils, à l'abri du désordre démocratique. Tout le reste sera abandonné au génie natif de ce peuple créatif et intelligent en diable, qui, si mal gouverné, survit par la débrouille et le marché noir quand on l'y pousse. "L'autorité en haut, les libertés en bas".
Pour retrouver la latitude nécessaire au déroulement du projet, il nous faudra réorganiser nos dépendances européennes et revoir les applications du principe d'attribution/subsidiarité depuis l'intérieur du Leviathan, et pour ce faire, se renforcer dans les instances communautaires. La Grande Bretagne a décidé de faire l'inverse jusqu'à se rendre compte qu'il était impossible de réorganiser ses dépendances de l'extérieur. Le Brexit la met au pied d'un mur lisse ! Soyons plus malins.
Reste pour un autre article la question brûlante de la mutation du peuple en peuples, la cohue démographique en Europe, le communautarisme, l'érosion des valeurs anciennes. C'est un autre sujet... un préalable indépendant du sujet traité aujourd'hui. Il faut prendre à bras-le-corps la question migratoire à l'aune de nos intérêts et cesser de se la jouer recteur universel des droits de l'homme sans devoirs. Ce sont les vieilles terres d'empire, habituées au malaxage des peuples, qui vont nous ouvrir les yeux en bloquant la dérive immigrationniste à Bruxelles même. La revanche de Charles-Quint ?
Postscriptum : Pour préparer le XVIè Congrès on peut aussi lire le long article de James Traub dans Foreign Policy (clic) sur la démocratie illibérale.