Alors que nous pacifions le Mali par la force, répondant à l'appel au secours du président Dioncounda Traoré, notre évêque aux armées a prononcé ce matin une forte homélie sur la mission du soldat. La voici sans autre commentaire.
Le 13 janvier 2013 à Saint-Louis-des-Invalides
Luc Ravel, un sacré évêque |
Il y a quelques jours, en Afghanistan, je célébrais Noël à Kaboul. Au camp militaire, a été bâtie une modeste chapelle. À l’intérieur, les murs s’achèvent à hauteur de plafond par un bandeau sombre sur lequel se détachent, très nettes, 88 plaques identiques, gravées d’une date, d’un nom, d’un insigne. L’insigne, celui de nos unités militaires. Le nom, celui d’un de nos frères d’armes. La date, celle de sa mort, brutale, mort pour la France, puisqu’il en portait les armes. Et je priais en face de Dieu, sous l’immense présence de ces Français, tués parce qu’ils voulaient détruire la guerre.
Car la mission suprême du militaire n’est pas de faire la guerre mais de la défaire, d’en bloquer la violence, puis de la rendre impossible. Sur le long chemin de la paix, c’est une étape toujours tragique mais parfois nécessaire. Je vous livre le fruit de ma prière à Kaboul, au moment où la France s’apprête à quitter ce théâtre de guerre. Je réfléchissais à quelle condition notre prière pour la paix était sérieuse et juste. Je me disais qu’elle ne peut pas être sérieuse, si elle oublie les drames de la guerre et elle ne peut pas être juste, si elle néglige l’héroïsme des militaires.
Gardons d’abord sous les yeux les drames de la guerre pour que notre prière soit sérieuse. J’en vois qui prient pour la paix comme ils prieraient pour avoir le soleil un jour de pique-nique. C’est dérisoire. Oui, revoyons par la mémoire ces corps tordus de douleurs. Me revient un souvenir brûlant, le corps de cet enfant de dix ans amené en hélicoptère à l’hôpital militaire, le ventre crevé par les éclats d’un engin explosif. Ou cet autre gamin, souriant dans les couloirs et courant vers nous avec deux béquilles et une seule jambe. L’autre avait été arrachée par une mine. Et comment ne pas baisser le regard quand nous croisons celui d’une femme meurtrie dans son cœur ? Telle cette maman, aujourd’hui totalement perdue, parce que son fils unique est mort, là-bas, au champ d’honneur. Elle ne s’en remettra jamais. Et tant et tant de peines vivaces, et tant et tant de blessures visibles et invisibles. Notre prière pour la Paix ne sera pas sérieuse, si nous ne nous tenons pas au bord de cet abîme d’horreurs où se tait la terrible douleur de la guerre. Car souvent la souffrance la plus forte se mure dans le silence le plus profond.
Gardons aussi en mémoire l’héroïsme de nos militaires pour que notre prière reste juste. Pourquoi examiner la justesse de notre prière pour la paix à la lumière de l’héroïsme dans la guerre ? Réfléchissons à nos demandes. Sans Dieu, nos paix sont en carton-pâte, elles font impression un moment, mais elles ne durent pas. Au mieux, nous parvenons à un cessez-le-feu laborieux et fragile. Ce n’est pas là encore la Paix. C’est pourquoi, nous implorons l’aide de Dieu. Jusque-là, nous sommes tous d’accord. Mais quelle aide demandons-nous à Dieu ? L’aide divine ne vise pas à nous donner la victoire contre nos adversaires. Dieu aime tous les hommes y compris nos ennemis. Il ne choisit pas son camp. Il ne va pas rajouter sa puissance à celle de nos chars. Il n’est pas un explosif supplémentaire, ni même une chance donnée au croyant pour éviter les balles. Il sait mieux que nous qu’une victoire ne donne pas la paix. Elle n’ouvre que le chemin d’un nouveau conflit.
Ne demandons pas à Dieu ce qu’il ne peut, ni ne veut, donner. Trop de victoires injustes ont été acquises et trop de guerres impies ont été réalisées au nom de Dieu. Dieu intervient sur le cœur. Il nous aide là où on trouve, justement, la vertu d’un soldat. Nous voilà conduit à regarder l’héroïsme, le courage, l’honneur, ces vertus qui traversent les défaites et les victoires : ce sont ces qualités intérieures qui obtiennent la paix définitive. Un acte de justice obtient plus que la menace d’une arme. Un médecin racontait à un de mes aumôniers ce qui lui est arrivé dans les Balkans. Alors qu’il était en patrouille avec quelques hommes, sa voiture se fait arrêter par des hommes armés et non identifiés qui braquent leurs fusils sur les soldats français. Instantanément ceux-ci pointent aussi leurs armes : la situation va tourner au carnage. Mû par une force intérieure, il sort sans arme du véhicule, les bras levés. Les mercenaires étonnés le laissent venir à eux voyant qu’il était désarmé. Il se met à leur parler et à leur serrer la main. Et il demande aux militaires français interloqués de venir aussi : tout le monde se serrent la main, échangent un sourire et se quittent sans un coup de feu. La maîtrise de soi a gagné la Paix. Dieu travaille à l’intérieur. Demandons-lui ces vertus dont la plus haute est l’amour.